Ogée, Ingénieur Géographe
Extrait du Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne. (sans date, postérieur à 1777, antérieur à 1789) tome II, p.388
" QUIBERON ; presqu'île ; à 7 1. au S.-O. de Vannes, son évêché ; à 27 1. de Rennes, et à 5 1. d'Auray, sa subdélégation et son ressort. On y compte 1100 communiants. La cure est présentée par l'abbé de Saint-Gildas de Rhuis.
Cette presqu'île ne tient plus au continent que par une langue de terre, qui, sous le fort Penthièvre, bâti à l'entrée de Quiberon, n'a pas 25 toises de large et presque aucune élévation au-dessus du niveau de la mer. Une partie de cette langue de terre est couverte d'eau à marée haute et le passage n'est praticable, pour se rendre à Quiberon, qu'à marée basse.
La rade de Quiberon est aussi vaste que sûre, elle offre partout un bon mouillage : c'est une espèce de golfe, dont les deux caps les plus avancés sont la pointe de Quiberon et celle de Saint-Gildas. Le seul port de Quiberon est le port Haliguen, fermé par un môle en pierres sèches et ne pouvant recevoir que des bâtiments de cent cinquante à deux cents tonneaux. Quiberon était riche et peuplé de bons navigateurs. Des vingt-deux villages que contient la presqu'île les Anglais en brûlèrent onze, en 1746, ainsi que tous les bâtiments qu'ils trouvèrent dans les havres ou à la côte ; à peine, depuis ce temps, a-t-on pu rebâtir les villages ; et aujourd'hui la petite marine de Quiberon, réduite à trente six chasse marrées ne reviendra de longtemps à l'époque brillante où, avec ce même nombre de chasse-marées, elle mettait en mer jusqu'à quarante bâtiments de soixante à deux cents tonneaux.
Les Anglais, qui ont la réputation de guerriers généreux, la démentent souvent quand ils sont intéressés à détruire des établissements de commerce et d'industrie. Le roi vint au secours des malheureux qu'ils avaient ruinés ; il accorda des sommes pour leur être remises, mais ils se plaignent que ces grâces, arrêtées dans leur course, n'ont pu parvenir jusqu'à eux.
La seule défense de Quiberon consiste en quelques batteries répandues sur la côte, et dans le fort Penthièvre qui ne peut empêcher l'ennemi de ruiner la presqu'île, mais peut lui fermer le chemin du continent. Le peuple de Quiberon est d'une plus belle espèce que celui de toute cette côte. Un air de santé, de gaîté, de propreté, lui est apparemment donné par l'aisance et la propriété. Ses maisons sont bien bâties, presque tous ses habitants sont propriétaires ; les portions de terre y sont prodigieusement subdivisées, et par cela même le territoire général y est d'un plus grand produit. Heureusement pour cette honnête peuplade, on n'y voit que deux ou trois fermiers. Le roi, comme propriétaire foncier de Quiberon, prélève un quart des récoltes. Henri IV avait exempté de cette énorme redevance beaucoup de terres qu'il avait réduites à ne payer que le douzième. Les incendies allumés en 1746 par les Anglais ont fait perdre aux habitants les titres de la concession de ce bon roi. D'autres terres avaient eu la faculté de racheter toutes leurs redevances ; et, totalement libérées, on les connaissait sous le nom de terres quittes. Aujourd'hui, les unes et les autres sont indistinctement forcées à payer au seigneur cette première redevance d'un quart de leurs récoltes. La pêche de la sardine se faisait autrefois sur la côte de la rade de, Quiberon, et dans les parages voisins, jusqu'au Morbihan. Le poisson préfère aujourd'hui ceux de Belle-Isle et de Groix. Beaucoup de presses, bâties à Quiberon, et sur les bords de la baie de la Trinité, en Carnac, près de Kernavest, sont tombées en ruines. Ainsi doivent disparaître toutes les puissances fondées sur un commerce fugitif ; il n'y a de stable que celles qui ont des richesses foncières, une grande abondance de matière première dont les peuples éloignés ont besoin, et qui ne peuvent naître chez eux. La puissance des Anglais, si fort accrue par le commerce, est donc plus précaire que jamais ; et après la perte de leurs colonies, on pourrait calculer le moment où elle doit s'évanouir. Ce moment s'accélérerait avec une grande vitesse si des nations tributaires de son commerce voulaient s'efforcer d'imiter son industrie. On déclame beaucoup contre la variété de nos modes ; je ne déciderai point si c'est bien ou mal à propos : J'observerai seulement que sur toute cette côte de Bretagne, il n'est pas deux villages dont le costume, surtout pour les femmes, soit semblable. Leurs habillements et leurs coiffures , qui ne sont pas toujours de bon goût, n'en sont pas moins chers. Les marchés des villes voisines, où affluent les habitants de ces côtes, offrent, en ce genre, un spectacle très bizarre et très varié. La fortune ne les fait pas encore quitter leur costume, et la seule différence entre les habits de la femme d'un colon riche et d'un colon moins opulent consiste en ce que les uns sont de soie quand les autres sont de laine, mais tous ont la même forme.
A la vue de tous les parages et de la chaîne de rochers qui semble lier ensemble les îles de Hoëdic, Houat et Quiberon, on ne peut guère douter que toutes ces terres, et peut-être même Belle-Isle n'aient fait autrefois une ou plusieurs presqu'îles du continent de la Bretagne. Je dis presqu'île parce qu'il a toujours fallu des issues aux rivières d'Auray, de Vannes et de la Vilaine ; et qu'en les réduisant à un seul débouché, il parait qu'il a toujours été dans l'espace qui existe entre Hoëdic et la pointe de Piriac.
Le prieuré de Quiberon fut rétabli, en 1037, par le duc Alain III, qui le donna à l'abbaye de Saint-Sauveur de Redon, de laquelle il passa depuis à celle de Saint-Gildas de Rhuys, qui le possède encore, et qui en nomme le recteur ou prieur. Depuis sa sécularisation, ce prieuré fut détruit par les Normands, et les cruautés de ces barbares avaient jeté une telle épouvante parmi les habitants du pays, qu'on fut obligé, longtemps après, de rappeler à Redon un prieur de cette nation qu'on y avait établi, parce que son origine effrayait tout le monde. En 1705, on vit un homme marin entre l'île de Belle-Isle et Quiberon. Il fut aperçu par des pêcheurs. Le père Henriquez, jésuite, en fait mention.
On remarque dans cette presqu'île plusieurs de ces pierres énormes dont les antiquaires ont tant parlé. "
L'historien G.Bernier remarque que " Ce texte d'Ogée mérite les commentaires suivants : jusqu'à la révolution, dans la presqu'île, il n'y avait pas de paroisse mais deux prieurés: Lotivy qui relevait de l'abbaye bénédictine de Sainte Croix de Quimperlé et Saint Clément, dépendance de Saint-Gildas de Rhuis. Le prieur de Saint Clément résidait depuis le XVIè siècle au Roch-Priol et l'abbé de Rhuis entretenait un desservant, vicaire à portion congrue, qui assurait le culte dans l'église de Locmaria quand l'abbé n'exerçait pas ses droits. Ogée a fait une erreur lorsqu'il cite la charte qui ordonne la restitution par le normand Gurki d'un bien appartenant à St-Sauveur comprenant la chapelle de Locoal et la presqu'île du Verdon. Cette charte fut signée par le duc Alain III jouant le rôle d'arbitre, lorsqu'il résidait à Quiberon, au nord de la presqu'île au voisinage du prieuré de Lotivy donné par Hoel à Sainte-Croix en 1066. "
Pour plus de renseignements sur l'histoire de la Bretagne aux premiers siècles : "Les Premiers bretons, la Bretagne du Vème siècle à l'an mil " livre de G.Bernier Editions Jos 1982 |