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L'épopée de Cadoudal, l'irréductible


Ennemi de la Révolution, du Consulat puis de l'Empire, le chef des armées royalistes de l'Ouest devient la bête noire de Bonaparte, après la tentative d'enlèvement du Premier consul qui, en 1800, se solde par la mort de plusieurs Parisiens. Dès lors ce sera une lutte à mort entre les deux hommes.

par Anne Bernet - auteur d'une Histoire générale de la chouannerie (Perrin, 2000).

Merci au site http://www.historia.presse.fr/ d'où nous tirons cette page


CadoudalKerléano, au hameau de Brech, près d'Auray en Bretagne vannetaise, est en ces années 1770 l'une de ces belles maisons de maître qui tiennent plus du manoir que de la ferme. L'on y devine, sinon la richesse, du moins l'aisance du propriétaire agricole. L'homme s'appelle Louis Cadoudal. C'est un colosse, et un redoutable champion de soule, cette ancêtre française, terriblement violente, du rugby. Par contraste sans doute, il a épousé une toute petite jeune femme, Marie-Jeanne Le Bossé, devant laquelle ce géant file doux. Leur premier enfant est né le 1er janvier 1771, un garçon qu'ils ont prénommé Georges. Ils en auront cinq autres.

Ce fils aîné, qui promet de ressembler à son père, a les yeux bleus, des cheveux frisés d'un blond qui tire sur le roux. Les voisins prophétisent qu'il sera plus fort encore que maître Louis, qui, pourtant, vous tord un fer à cheval entre le pouce et l'index, lutte avec les taurillons et soulève un poulain en le tenant entre ses genoux. Peut-être est-ce à cela que rêve Mme Cadoudal, ce matin de printemps, son fils dans les bras, lorsqu'un mendiant entre dans la cour. Comme elle lui donne l'aumône, le vieux la dévisage, puis, posant sa main sur la tête du petit Georges, il marmonne : « Cet enfant-là sera, pour cette maison, la cause de grands malheurs... »

Trente ans plus tard, s'il lui arrive de repenser à cet augure, Georges Cadoudal est forcé de conclure que le vieux voyait étonnamment clair. A un détail près, toutefois : certains malheurs sont des hontes ; d'autres, des titres de gloire. C'est pourquoi, même dans ses pires moments de détresse, il n'arrive pas à regretter la route qu'il a prise. Cette route, il ne l'a pas choisie ; ce sont les événements qui l'ont poussé, et l'idée qu'il se faisait de son devoir.

La guerre civile dans l'Ouest se déclenche début mars 1793, parce que les paysans catholiques de Bretagne, du Maine, de Basse-Normandie, d'Anjou et du Bas-Poitou n'ont pas voulu obéir à la  à la nouvelle loi de conscription, appelant sous les drapeaux 300 000 jeunes hommes. Pas question d'aller se battre aux frontières pour un gouvernement régicide et persécuteur. Si, au sud de la Loire, dans les régions que l'on appellera bientôt la Vendée, les autorités locales ont été incapables de juguler l'insurrection, en Bretagne, le général de Canclaux est parvenu, en quinze jours, à rétablir l'ordre républicain, en tirant sur les foules ameutées, puis au prix de bon nombre d'exécutions.

Georges s'est battu. Il a constaté que, face à des troupes professionnelles, les amateurs ne font pas le poids. Ayant compris que la guerre est un métier, il décide de l'apprendre. A ses parents, qui l'approuvent, il déclare : « Jamais l'habit bleu [l'uniforme des armées républicaines] ne salira mon échine. » Pour échapper à la conscription, accompagné de quatre autres garçons, il part vers la Loire, vers la Vendée insurgée, et victorieuse. Avant même d'avoir franchi le fleuve, comme si le destin voulait lui interdire tout retour, il commet l'irréparable. Dans une auberge, des soudards sont en train de violer la fille de la maison, sous les yeux des parents. Georges et ses amis déboulent dans la salle et tuent les brutes. Plus d'arrangement possible avec les autorités après cela...

En Anjou, le général marquis Charles de Bonchamps organise en Compagnies bretonnes les volontaires des autres provinces qui affluent. Auprès de cet officier de carrière, de l'aveu même de ses adversaires le plus brillant des commandants vendéens, Cadoudal va apprendre à se battre. Sept mois de batailles, de victoires, et puis, le 23 décembre 1793, la catastrophe : l'écrasement de ce qui reste des armées vendéennes à Savenay. Au soir de cette sinistre journée, le général républicain Westermann écrit à la Convention : « Il n'y a plus de Vendée. Elle est morte sous notre sabre libre. Je viens de l'écraser dans les marais de Savenay. J'ai fusillé les hommes, massacré les femmes, ces brigandes qui n'enfanteront plus de brigands, écrasé les enfants sous les sabots de nos chevaux. Je n'ai pas un prisonnier à me reprocher. Il faudrait leur donner le pain de la liberté, et la pitié n'est pas révolutionnaire. »

Vrai dans ces grandes lignes, le rapport de Westermann pèche par optimisme : quelques dizaines de combattants ont survécu. Ceux-là sont allés au bout de l'horreur, témoins de scènes d'abomination qu'ils ne pourront jamais oublier. Parmi eux, Cadoudal. A ses côtés, un garçon d'un an son cadet, Pierre Mercier, fils d'aubergistes de Château-Gontier, rencontré chez les volontaires de Bonchamps, et devenu son meilleur ami. Et même un peu plus, car Pierre a une soeur, Lucrèce, dont Cadoudal est tombé amoureux. Ils se sont juré fidélité, ont échangé des promesses de mariage.

Le 6 janvier 1794, au terme d'un périple à travers un pays ravagé par la guerre et sillonné par les patrouilles ennemies, Cadoudal, toujours flanqué de Mercier, revient à Kerléano. Aussitôt, il entreprend de contacter les insurgés de l'année précédente et, leur racontant les malheurs de la Vendée, de les inviter à reprendre les armes. Ses efforts ne tardent pas à être couronnés de succès tant le joug de la République pèse lourd sur le Morbihan. Mais un voisin des Cadoudal, Le Moing, commence à trouver suspecte la conduite de Georges et de son ami. Passant leurs nuits à se livrer à des activités subversives, les deux garçons dorment toute la journée. Il n'est pas habituel, chez les paysans, qu'on laisse deux grands fainéants de 20 ans se prélasser de la sorte. Le Moing est jaloux de la réussite de Louis Cadoudal. Il va le dénoncer à la gendarmerie, l'accusant de couvrir les menées contre-révolutionnaires de son aîné et de son hôte.

Le 29 juin, les gendarmes déboulent à la ferme, arrêtent Georges et Pierre, et pour faire bonne mesure, les parents, l'oncle, et le plus âgé des frères du suspect, Julien. Sans ménagements, même pour Mme Cadoudal enceinte de sept mois, la famille est jetée dans les cachots de la prison de Brest, où on l'oublie, car la chute de Robespierre, le 28 juillet, a enrayé l'action des tribunaux révolutionnaires. Mais pas les épidémies... En quelques semaines, Georges perd sa mère, qui meurt en mettant au monde une petite fille, sa petite soeur, et son oncle Denis. Autant de deuils dont Cadoudal rend la Révolution responsable et qui font de lui un ennemi un peu plus irréconciliable du régime.

En novembre 1794, Georges et Mercier s'évadent de la prison de Brest, regagnent le Morbihan, constatent que leurs efforts ont porté leurs fruits puisque le département a repris les armes, mais sont surpris de découvrir leurs groupes coiffés par un nouveau venu, le comte de Puisaye. Ancien député du Perche à la Constituante, proche du parti girondin et proscrit pour cela, réfugié en Ille-et-Vilaine, Joseph de Puisaye est un étrange personnage, mégalomane, tenant de l'escroc et de l'aventurier.

En détournant des courriers du gouvernement britannique, il est parvenu à se faire passer, auprès des Anglais, pour le chef d'une armée royaliste bretonne qui n'existe que dans son imagination. Ayant extorqué des fonds aux Anglais, il a entrepris de fédérer à son profit les bandes d'insurgés de Bretagne. Doté d'un toupet monstre, possèdant d'authentiques talents de diplomate et d'un énorme sens politique, il n'a pas trop mal réussi son coup. Lorsque Cadoudal revient, Puisaye, justement, vient de s'embarquer pour l'Angleterre dans l'intention d'organiser un débarquement d'émigrés français. En guise de suppléant, il laisse derrière lui un lamentable personnage, Cormatin, authentique escroc qui profite de la situation et entame, escomptant en retirer des profits personnels, des négociations avec le gouvernement thermidorien, désireux de mettre un terme aux insurrections de l'Ouest.

Les négociations culminent au mois d'avril 1795 dans les pourparlers de paix entamés entre républicains et royalistes au manoir de La Mabilais, près de Rennes. Elles vont être, pour Cadoudal, l'occasion d'entrer dans l'Histoire. En désavouant publiquement les menées de Cormatin et en quittant la conférence - départ qui entraînera celui de la plupart des négociateurs royalistes -, Georges, à 24 ans, s'impose comme la personnalité la plus brillante et la plus prometteuse de la contre-révolution bretonne. Une réputation qui se vérifie dès le mois de juillet, lorsque les troupes émigrées débarquées à Quiberon et les combattants locaux se retrouvent piégés dans la presqu'île. Seul Cadoudal parvient à évacuer ses hommes et, l'opération de diversion à laquelle il doit participer tournant au fiasco, il réussit, une seconde fois, à ramener ses troupes en Morbihan sans pertes.

Dès lors, Cadoudal devient la figure emblématique de cette résistance royaliste bretonne, que l'on appelle désormais, à l'instar de la révolte mayennaise, une chouannerie. Chef roturier, doté d'un physique impressionnant, et d'un ascendant rare sur ses hommes, il jouit d'une popularité exceptionnelle jusqu'auprès des princes en exil dont il reçoit les messages d'encouragement. Cela lui permet de se libérer de l'encombrante tutelle de Puisaye, discrédité pour la façon dont il a géré l'affaire de Quiberon. Le refus systématique de Georges de remplacer ses officiers paysans par des gentilshommes rentrés d'émigration ajoute une touche finale à son image.

Puisaye fait courir le bruit, dans les milieux de l'émigration, que « Monsieur Georges » est fortement « anti-noble », qu'il incarne une espèce née de la Révolution, « le jacobin blanc », personnage dangereux que l'on ne pourra plus jamais soumettre à l'ordre ancien. Au vrai, Cadoudal n'est pas loin d'adhérer à cette analyse. Lui-même l'avouera à l'un de ses amis, Guillaume Hyde de Neuville : « Voyez-vous, Hyde, quand le roi reviendra, si j'ai un bon conseil à lui donner, c'est de nous faire fusiller tout de suite, car, quoiqu'il arrive, nous ne serons plus jamais que des rebelles : le pli est pris. »

Cette image de « jacobin blanc » n'effarouche pas autant que Puisaye l'a cru. Au contraire, dans l'entourage de Louis XVIII et de son frère, le futur Charles X, les plus intelligents comprennent que Georges, son détonnant mélange de fidélité à Dieu et au roi allié à une conception de la liberté, non pas révolutionnaire mais typiquement bretonne, représente une voie possible vers un avenir monarchique différent, une restauration qui corrigerait les défauts de l'Ancien Régime.

Pour l'heure, on est loin de cette restauration. La capture et l'exécution de Stofflet et de Charette, les derniers généraux vendéens, en février et mars 1796, ont permis au général Hoche de porter tout son effort militaire au nord de la Loire. Ecrasés sous le nombre, privés de l'appui anglais, les chouans, région par région, sont contraints de rendre les armes. Le 19 juin 1796, à Vannes, Cadoudal signe un acte de soumission à la République auquel il n'attache aucune valeur. Depuis que, l'année précédante à Quiberon, Hoche a oralement promis la vie sauve aux royalistes s'ils capitulaient, puis s'est parjuré laissant fusiller 751 prisonniers, Cadoudal estime qu'une parole donnée à cet homme-là n'engage à rien. Ce n'est qu'un moyen d'attendre des jours meilleurs, et l'occasion de reprendre la guerre avec des chances de la gagner.

Ces jours meilleurs, Cadoudal va les attendre dans la clandestinité, jusqu'en octobre 1799. La corruption du Directoire, l'état de misère et d'insécurité dans lequel le régime plonge la France et, dans l'Ouest, les vexations, les arrestations, les meurtres, les exécutions sommaires subis quotidiennement par les paysans et les anciens chouans, ont remis des gens qui n'aspiraient qu'à la paix dans une colère rouge. La France entière espère se débarrasser du gouvernement des « pourris ».

Ce n'est pas Louis XVIII qui gagnera cette partie. Bien que ses partisans, à l'automne 1799, s'emparent de grandes villes (Le Mans, Saint-Brieuc, Nantes), ils se font prendre de vitesse par le général Bonaparte. On le croyait coincé en Egypte, il est déjà à Paris, puis à Saint-Cloud, où, le 9 novembre, il provoque un coup d'Etat et s'empare du pouvoir. Le bruit court que Bonaparte a pris le pouvoir dans l'intention de le rendre à Louis XVIII, imitant le général Monk, successeur de Cromwell, qui rétablit Charles II sur le trône d'Angleterre, au milieu du XVIIe siècle. C'est dans cette illusion que les chefs victorieux de l'Ouest insurgé acceptent d'entamer des négociations avec ses représentants. Le 25 novembre, les belligérants signent un armistice, valable jusqu'au 5 janvier 1800. Pendant ces six semaines, à coup de promesses et de menaces, cédant tout ou presque sur la question religieuse, rien sur le plan politique, Bonaparte va renverser la situation, diviser l'adversaire, le démoraliser, et amener les Vendéens à accepter la paix.

Cette stratégie, Cadoudal, commandant en chef des armées de Bretagne, conseillé par Pierre Mercier, l'a comprise plus vite que les autres, mais il a beau jouer de toute son influence, tenter même, le 20 janvier 1800, un ultime combat, à Pont-du-Loch, qui se solde par un semi-échec, il est impuissant à empêcher la fin d'une guerre dont beaucoup ne veulent plus, maintenant que le pouvoir a dissocié les intérêts de Dieu de ceux du roi.

Les royalistes qui refusent de rendre les armes, Bonaparte les fait poursuivre, capturer, exécuter, tels le chef normand Frotté et ses six lieutenants, qui sont fusillés le 18 février à Verneuil, encore porteurs des sauf-conduits délivrés par les autorités.

Cadoudal et Mercier, qui jugent le chef de l'Etat capable de tout, ne veulent pas mourir inutilement. Dès le 14 février, ils ont signé une nouvelle soumission, qui ne revêt à leurs yeux aucune importance, comme d'habitude. Ce qui n'empêche pas Georges, à l'instar des autres chefs royalistes, d'accepter une entrevue avec le Premier consul (lire page 39) . De part et d'autre, l'antipathie est immédiate, totale. S'échappant de Paris, malgré la surveillance policière, Cadoudal passe en Angleterre, décidé à obtenir un dernier effort financier des Anglais et la participation active du comte d'Artois au prochain soulèvement. Il n'aura jamais lieu : le 14 juin 1800, à Marengo, Bonaparte écrase les armées coalisées, et la Grande-Bretagne, en position de faiblesse, préfère lâcher l'opposition royaliste au Premier consul. Ce retrait condamne le recours à l'action militaire classique. Mais pas à toute action. Avec le Consulat, le régime se réduit à un seul homme. Si cet homme venait à disparaître, une restauration ne redeviendrait-elle pas possible ?

Cadoudal le croit, qui envisage la possibilité d'enlever Bonaparte sur la route de Malmaison et de le livrer aux Anglais. C'est afin d'estimer les chances de réussite d'une telle action qu'en novembre 1800, il expédie à Paris un groupe de ses officiers, sous les ordres du chevalier de Saint-Régeant. Lequel, adepte de méthodes plus expéditives, prend des initiatives sans en référer à Georges. Au lieu d'enlever Bonaparte, pourquoi ne pas le tuer ? Le 24 décembre, alors que le Premier consul doit se rendre à l'Opéra, une voiture piégée explose sur le parcours du cortège, rue Saint-Nicaise, manque Bonaparte mais fait une dizaine de victimes parmi les passants...

Cadoudal est absolument étranger à cette action terroriste dont la stupidité, l'inutilité et la cruauté le plongent dans un état de fureur quand il l'apprend. Cela, Bonaparte, incapable d'imaginer des subordonnés prenant des initiatives ou désobéissant aux ordres, ne voudra jamais l'admettre. Cadoudal est désormais l'homme à abattre. Autour de lui, l'étau se referme. A défaut de le prendre, on traque ses proches.

Le 21 janvier 1801, Pierre Mercier est abattu par les gendarmes, près de Loudéac ; le 8 février, Julien Cadoudal, le jeune frère de Georges, est assassiné par l'escorte militaire qui l'emmène à Lorient pour un simple interrogatoire. Ces drames successifs atteignent Georges. Pour la première fois, ses proches voient cet homme de fer fléchir et... pleurer. Sa détresse est si grande qu'il commet l'imprudence d'écrire à Lucrèce Mercier, la fiancée qu'il n'a revue qu'une fois depuis 1793. Il la supplie de le rejoindre en Bretagne. Une folie, car la famille Mercier est surveillée. Tout déplacement de la jeune fille conduirait la police droit à son fiancé. Faisant taire son amour pour Georges, Lucrèce ne répond pas, consciente qu'une simple lettre suffirait à le perdre.

Désespéré, au printemps 1801, Cadoudal et une poignée de ses fidèles repassent en Angleterre, où le gouvernement consent à les recevoir officieusement, en tant que réfugiés politiques. L'exil se prolonge deux ans, jusqu'à la rupture de la paix d'Amiens, en 1803, qui rouvre la guerre entre la France et la Grande-Bretagne. L'idée d'enlever Bonaparte retrouve du crédit auprès du gouvernement Pitt, de nouveau prêt à soutenir une tentative des chouans. En août, Cadoudal et un premier groupe de conjurés débarquent au pied de la falaise de Biville, en pays de Caux, et de là, grâce à des passeurs, gagnent Paris où ils arrivent début septembre. « Le coup essentiel », comme ils appellent l'affaire, a commencé. Le projet, réactivation améliorée de celui de 1800, est audacieux mais réalisable, à condition de se rallier le plus prestigieux des opposants militaires à Bonaparte, le général Moreau. Cadoudal compte sur la solidarité bretonne : Moreau est Finistérien.

En théorie, voici ce qui doit se passer : les chouans attaqueraient le convoi consulaire sur la route de Malmaison, enlèveraient Bonaparte, l'expédieraient en Angleterre. Pendant ce temps, à Paris, Moreau et le général Pichegru - jadis républicain mais devenu royaliste depuis qu'il s'est évadé du bagne guyanais où le Directoire l'a expédié -, profiteraient de la confusion créée par la disparition du Premier consul, s'empareraient du pouvoir, obtiendraient le soutien de l'armée, et rappelleraient Louis XVIII.

Le seul problème, mais il est de taille, c'est que Moreau refuse de marcher dans le complot. On perd du temps à essayer de le convaincre. Un temps que la police et les services de renseignement, informés de la présence des chouans à Paris, mettent à profit. Entre le 21 janvier et le début mars 1804, l'un après l'autre, tous les complices de Cadoudal, ou presque, sont arrêtés. Sa cache même n'est pas sûre. Le 9 mars, il doit en changer, gagner la rue du Four et la boutique du parfumeur Caron, sympathisant royaliste. Au crépuscule, Cadoudal, déguisé en fort des halles, est place du Panthéon, et attend le fiacre qui doit l'emmener. C'est la police qui surgit. Une bagarre éclate, au cours de laquelle le chef breton parvient à s'engouffrer dans le véhicule, qui démarre au galop. Mais l'affidé qui conduit l'attelage connaît mal le quartier Latin, et s'égare. Epuisé, le cheval s'effondre. Georges saute du fiacre, et se retrouve nez à nez avec deux inspecteurs... Il en abat un, assomme l'autre, s'échappe encore. Se perd lui aussi, revient sur ses pas, et donne dans le dispositif policier. Aux forces de l'ordre qui l'entourent, à l'inspecteur Caniolle qui l'identifie, il répond calmement : « Oui, je suis Georges. »

L'instruction dure deux mois sous l'accusation - gênante dans la mesure où Bonaparte s'apprête à supprimer le régime républicain afin de se proclamer empereur - d'atteinte à la sûreté de la République. Qu'importe, les volontés du presque empereur ne connaissent pas d'obstacle. Après avoir fait enlever et fusiller le duc d'Enghien, gage accordé à la gauche jacobine sous le prétexte fallacieux qu'il devait être le prince attendu par Cadoudal, Napoléon veut maintenant terroriser son opposition de droite en faisant un exemple. Il y a 46 prévenus - moins Pichegru retrouvé « suicidé » d'une curieuse manière dans sa prison - sur le banc des accusés, dont Moreau qui a pourtant refusé de s'en mêler - ce que Bonaparte sait parfaitement. Exceptés les seconds rôles et les innocents, comme la commerçante qui a logé Cadoudal sans savoir qui il était, tous doivent être condamnés à mort. Ce sont les volontés impériales. La juridiction d'exception nommée pour l'occasion va s'employer à les satisfaire.

Commencés le 28 mai, les débats s'achèvent le 10 juin. La peine capitale est prononcée vingt fois, mais épargne Moreau, dont l'innocence est éclatante, ce qui n'empêche pas de le condamner à deux ans de prison, sentence ridicule qui fait dire à Napoléon : « Ces imbéciles l'ont condamné comme un voleur de mouchoirs ! » Parmi les condamnés, Cadoudal, évidemment, ses principaux lieutenants, nobles ou roturiers : Bouvet de Lozier, Coster de Saint-Victor, le duc de Polignac, le marquis de Rivière, Charles d'Hozier, Aimé Joyaux, Armand Gaillard, Michel Roger, mais aussi d'humbles paysans morbihannais attachés à leur chef et qui l'ont suivi jusque-là, tel Picot, l'ancienne ordonnance de Mercier.

Murat et sa femme, Caroline Bonaparte, Joséphine, Hortense de Beauharnais, qui comprennent l'effet négatif qu'aurait, dans l'opinion, une pareille fournée de têtes coupées, digne des pires jours de Robespierre, interviennent, et réussissent à sauver, à force de supplications, huit des condamnés. Ce n'est pas un hasard si, excepté Gaillard, qui bénéficie d'une erreur de procédure invraisemblable, ils appartiennent à la haute noblesse, que l'Empereur veut se rallier, ou touchent à l'armée et aux banques suisses, puissances que personne n'ose indisposer... Les autres sont trop petits personnages pour intéresser la jeune cour impériale. La douzaine d'hommes toujours promis au bourreau sont tous des roturiers sans appui, mis à part Cadoudal, en faveur duquel personne, hormis Murat, n'ose intercéder, et Jean-Baptiste Coster de Saint-Victor, qui a le tort impardonnable d'avoir autrefois partagé avec le général Bonaparte les faveurs d'une même actrice...

Une porte leur reste ouverte. Napoléon a laissé entendre que, si Cadoudal s'abaissait à demander sa grâce, il épargnerait le groupe entier. Une seconde, Georges hésite, relit le document qui n'attend que sa signature. Une formule lui saute aux yeux : « [...] supplie Sa Majesté l'Empereur et roi... » Le reniement de tout ce qu'il a défendu, une trahison envers ceux qui l'ont suivi et sont morts à ses côtés pour la cause royale. Décidément, sa peau et celles des onze autres ne valent pas ce prix. Il froisse le papier, le jette, s'exclame : « Le bougre ! Non content de nous tuer, il essaie en plus de nous déshonorer ! » Cette fois, tout est joué. Songe-t-il à Lucrèce Mercier, la seule femme qu'il ait jamais aimée ? Oui, mais cette considération ne le fera pas fléchir. A la différence des autres épouses, fiancées, soeurs ou filles de condamnés, Mlle Mercier n'a rien tenté en faveur de Georges, persuadée qu'une démarche aussi humiliante que vaine abîmerait leur histoire d'amour. Cette fierté ne diminue pas sa peine. Inconsolable, elle prendra le voile chez les ursulines.

:Le 25 juin 1804, à 11 heures du matin, les charrettes, en provenance de la Conciergerie, arrivent place de Grève (l'actuelle place de l'Hôtel-de-Ville), se frayant difficilement un passage dans une foule énorme de curieux. Le premier, Georges en descend, marche vers le bourreau, lui dit : « C'est à moi de donner l'exemple. Quand vous aurez terminé votre office, n'oubliez pas de montrer ma tête à mes compagnons, afin de leur ôter toute idée que j'aie pu leur survivre. » En fait, Cadoudal redoute une manoeuvre de dernière seconde, une grâce accordée sans qu'il l'ait demandée, et qui n'épargnerait, pensée insupportable, que lui... Il préfère prendre les devants. En se dirigeant vers la guillotine, il récite l' Ave Maria , s'arrête au verset « Priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant... » ; son confesseur lui murmure : « Continuez. » Cadoudal a un sourire, hausse les épaules : « A quoi bon, monsieur l'abbé ? Et à l'heure de notre mort, n'est-ce pas maintenant ? »

Ainsi s'achève, loin des provinces de l'Ouest, avec l'exécution du dernier général royaliste, une guerre civile qui a duré onze ans, et fait plus de trois cent mille morts.

Premières armes de Cadoudal
Le 17 octobre 1793, le général vendéen Bonchamps meurt lors de la "déroute de Cholet" (ci-dessus). C'est auprès de cet officier que Cadoudal (portrait) a appris à se battre.

Repères
1771 Naissance de Georges Cadoudal le 1er janvier. 1793 : Rencontre avec Pierre Mercier. Fiançailles avec Lucrèce Mercier. Début des chouanneries. 1794 : Cadoudal et Mercier s'évadent de la prison de Brest. 1796 : Le 19 juin, signature de la paix à Vannes. Fin de la deuxième chouannerie. 1799 : Début en octobre de la troisième chouannerie. 1800 : Le 24 décembre, attentat de la rue Saint-Nicaise. 1801 : Le 21 janvier, mort de Pierre Mercier. Suivie le 8 février de l'assassinat de Julien Cadoudal. Cadoudal repasse en Angleterre. 1803 : Préparation de l'enlèvement de Bonaparte. 1804 : Le 9 mars, arrestation de Cadoudal qui sera guillotiné le 25 juin.

Le malentendu des Tuileries
Lorsqu'il reçoit Cadoudal en 1800, Bonaparte ne comprend pas qu'il a affaire au véritable chef de l'insurrection bretonne. Naissance d'un quiproquo tragique... Le rendez-vous que le Premier consul accorde, le 5 mars 1800 aux Tuileries, aux généraux vendéens, bretons et manceaux, est, dans son esprit, une opération de séduction. Conscient de la fascination qu'il exerce sur la plupart de ses interlocuteurs, Bonaparte est persuadé de retourner ces hommes, de s'en faire des alliés. Ou, à défaut, de leur inspirer une crainte suffisante pour les obliger à se tenir tranquilles. Cependant, il va commettre une erreur psychologique aux conséquences gigantesques. Mal renseigné, Bonaparte est convaincu que Pierre Mercier, l'ami et le lieutenant de Cadoudal - absent de cette réunion à laquelle il a refusé de se rendre -, est le véritable commandant de la Bretagne. Aussi se croit-il d'autant moins obligé de ménager Cadoudal, qu'il éprouve un certain mépris envers ce roturier. Mortifié de cet accueil grossier, Cadoudal, intime des princes, maréchal de camp des armées royales, grade qui anoblit d'office son titulaire, sort du palais fou de rage. Au directeur de l'agence royaliste de Paris, Hyde de Neuville, il dit : « Ah, si vous saviez ce que j'ai eu envie de prendre ce petit homme entre mes bras et de serrer, serrer, serrer ! A l'étouffer ! ». Une seconde rencontre, quelques jours plus tard, où Bonaparte commet une nouvelle maladresse en tentant tour à tour de menacer Cadoudal puis de l'acheter, aggrave leur mésentente. Il ne s'agit plus d'un différend politique, mais d'une haine personnelle, d'homme à homme. Les deux protagonistes n'auront de cesse d'avoir abattu l'autre. Et l'attentat de la rue Saint-Nicaise, le 24 décembre 1800, va ancrer définitivement Bonaparte dans la certitude que Cadoudal est un assassin, et l'autoriser à tout tenter contre lui. Il n'admettra jamais, pas même après l'arrestation et les aveux circonstanciés de Saint-Régeant, que le chef breton ait pu être innocent de ce crime. Afin de se débarrasser de Cadoudal, au cours de l'hiver 1801, la police ne recule en effet devant aucun procédé, payant certains de ses proches afin de l'empoisonner. Prévenu par le préfet d'Ille-et-Vilaine, à qui ces manières répugnent, Cadoudal déjoue ces tentatives. On recourt alors à la prise d'otage en arrêtant son jeune frère, Julien. Et, comme Georges Cadoudal ne tombe pas dans le piège, on assassine Julien, avec l'arrière-pensée que ce crime poussera l'aîné à commettre une erreur et le fera prendre. Une fois encore, c'est peine perdue puisque le chef de l'insurrection bretonne passe en Angleterre, plus décidé que jamais à régler ses comptes avec le chef de l'Etat. Pour Bonaparte, la seule pensée que Cadoudal soit en vie constitue une épée de Damoclès. S'il est une chose qui lui fasse peur, c'est l'idée de le voir resurgir. Joseph Fouché, ancien ministre de la Police, disgracié pour n'avoir pas su déjouer l'attentat de la rue Saint-Nicaise, va se servir de cette angoisse du Premier consul, pour rentrer dans ses bonnes grâces et de récupérer son portefeuille, récompense méritée de l'homme qui aura débarrassé la France du « terroriste, du monstre breton ». Les réseaux personnels de Fouché et les services de renseignement ne sont pas étrangers à la décision de Cadoudal de risquer le « coup essentiel », l'enlèvement de Bonaparte afin de le remettre aux Anglais. Il est d'ailleurs, dans ce contexte, très difficile de savoir qui, des royalistes ou des services consulaires, intoxique et manipule les agents de l'adversaire. Ce qui est certain, c'est que Fouché et Bonaparte utiliseront au maximum, en évitant de le faire arrêter dès le début, la présence de Georges à Paris à la fin de l'année 1803. Cela leur permettra, entre autres, de liquider le malheureux duc d'Enghien et de compromettre le général Moreau, principal rival du Consul dans les milieux militaires, puis, jouant sur la panique de l'opinion, d'imposer le sénatus-consulte qui instaure l'Empire héréditaire. Parfaitement conscient d'avoir été utilisée par la propagande gouvernementale, Cadoudal dira à ses compagnons : « Messieurs, nous voulions rendre un roi à la France. Nous avons fait mieux, nous lui donnons un empereur... ».



A lire en  complément
- Georges Cadoudal ou la Liberté, de Jean-François Chiappe (Perrin, 1971).
- Cadoudal, de Jean de La Varende (Nouvelles Editions latines, 1970).
- Georges Cadoudal et la chouannerie, de Georges de Cadoudal (Téqui, 1971). %0

 


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