Musée de Quiberon - maison du patrimoine

http://museequiberon.port-haliguen.com/

Mésolithiques -dépots coquilliers (Docs préhistoire)

Façade atlantique de la France et la Manche
Publié le jeudi 30 mars 2006, mis à jour le samedi 22 mars 2008, par Catherine Dupont, sur le site  http://www.archeozoo.org/fr-article240.html

1 - Les mollusques : ressource alimentaire

La Préhistoire et l’impact de la néolithisation sur la consommation des coquillages

Les premiers témoins de la consommation des coquillages le long de la façade atlantique française sont observés à partir de la fin du Mésolithique. Cette activité est sans doute plus précoce mais les rejets alimentaires des populations côtières antérieures au Mésolithique sont actuellement détruits, masqués par des dépôts sédimentaires ou submergés. La collecte des coquillages représente pour les populations préhistoriques du Mésolithique et du Néolithique une activité de faibles dangers où seule la zone exondée par les marées, l’estran, est exploitée (Dupont 2003). Les coquillages les plus accessibles dans la zone intertidale et dont la chair est plus facile à désolidarisée de la coquille ont été les plus consommés pendant ces deux périodes de la Préhistoire pour la zone géographique étudiée (Dupont 2004).

Au Mésolithique, les dépotoirs fouillés se présentent sous la forme d’une couche coquillière d’une épaisseur comprise entre 1 et 0,20 mètres recouverte par un niveau de dune (fig.1). Ils témoignent de l’exploitation de toute la diversité offerte par l’environnement marin (coquillages, crabes, poissons, oiseaux marins...) (Dupont 2005-1, Dupont et Gruet 2005). Les ressources terrestres ont également été exploitées mais l’ont été minoritairement à cette période sur la côte (Schulting et al. 2004, Dupont et al. sous presse). L’analyse pluridisciplinaire de ces dépôts dont l’étude des arrêts de croissance hivernaux de la palourde Tapes decussatus (Dupont 2003) montre que les hommes ont pu fréquentés ces dépôts une grande partie de l’année. Une grande diversité de coquillages y a été déterminée. Les plus abondants sont les patelles Patella sp., l’huître plate Ostrea edulis, la moule Mytilus edulis, la coque Cerastoderma edule et la scrobiculaire Scrobicularia plana.
JPEG - 29.3 ko
Fig. 1 - Le dépôt coquillier mésolithique de Beg-an-Dorchenn (Plomeur, Finistère). Cliché C. Dupont.
L’acquisition de nouvelles techniques telles l’élevage et la culture au Néolithique semble avoir eu un impact dans l’exploitation des ressources marines par les populations humaines. En effet, à partir de cette période les dépôts coquilliers sont moins volumineux. La collecte des coquillages s’oriente pour un site archéologique autour d’un nombre d’espèces plus réduit (Dupont 2004). Bien souvent, seul un substrat a été exploité, les rochers, les plages sableuse ou les vasières. Les autres témoins de la consommation de ressources marines deviennent plus tenus. Les taxons les plus consommés à cette période sont selon les sites les patelles Patella sp., l’huître plate Ostrea edulis, la moule Mytilus edulis, la coque Cerastoderma edule, la scrobiculaire Scrobicularia plana, la monodonte Osilinus lineatus et la palourde Tapes decussatus.

Les coquillages et les périodes historiques

JPEG - 29.6 ko
Fig. 2 - Dépotoir coquillier d’Aytré avant l’étude malacofaunique (Charente-Maritime, Gallo-romain). Cliché C. Dupont.
Les dépotoirs à coquilles (fig.2) sont récurrents sur les sites archéologiques plus récents localisés le long du littoral de la Manche et de la façade atlantique. Cependant, l’analyse malacofaunique est loin d’être systématique. Elle permet pourtant d’approfondir les données textuelles, qui restent vagues quant aux taxons consommés (Dupont 2005-2) et, qui ne décrivent bien souvent que les coquillages mangés par les plus aisés. Ainsi, l’analyse des dépotoirs à coquilles engagée pour des sites proches de la côte permet de savoir quels sont les assemblages coquilliers exploités en différents lieux de la côte et ce en fonction des catégories sociales des populations humaines. Des analyses biométriques permettent d’identifier des variabilités de la forme de certaines espèces en fonction de leurs lieux de provenance.

Avec l’amélioration des voies de communication, les coquillages pénètrent plus loin dans les terres. Pour des sites urbains plus éloignés de la mer, l’application d’un tamisage systématique lors de fouilles archéologiques permet de savoir quels sont les assemblages malacofauniques qui ont été transportés. A long terme cette vision plus complète des ressources marines transportées dans les terres associée aux études biométriques permettra peut-être d’affiner les lieux d’approvisionnement de ces sites. Les analyses malacofauniques réalisées sur ce large laps de temps permettent de suivre l’évolution des espèces consommées, des techniques de collecte voire de pêche ainsi que l’impact de l’exploitation des coquillages sur les bancs naturels de coquillages.

2 - Les mollusques : matière première

La Préhistoire

L’utilisation de la coquille en tant que matière première s’oriente pour la Préhistoire de la façade atlantique française autour de deux principales utilisations : les outils (fig.3) et la parure (fig.4). La coquille utilisée comme ornement a pénétré plus loin dans les terres que les coquillages collectés pour l’alimentation. Ainsi, les parures en coquillages peuvent être étudiées car conservées dès le Paléolithique (Taborin 1993). La comparaison des spectres malacofauniques des coquillages consommés et des coquilles utilisées comme parure montre que le test n’a pas été recyclé après que le coquillage ait été mangé. Les coquilles utilisées pour la parure ont été ramassées après leur échouage sur la grève ou dans des cordons fossilifères. Mais sa composition n’est pas uniforme tout au long de la chronologie (Dupont 2003). Ainsi, au Mésolithique, les coquilles sont percées et préservent leur forme d’origine. La parure se compose en majorité de tests de petite dimension (inférieure à 2 cm) tandis que les plus grands sont rares. Avec le Néolithique, les petits tests percés perdurent et des ateliers de façonnage de petites perles plates et circulaires apparaissent. Le façonnage de la parure devient alors une activité spécialisée. Les parures trouvées en sépultures permettent également de discuter de la différence des assemblages malacofauniques entre les individus humains et de la façon dont ces ornements ont été portés...

JPEG - 43.7 ko
Fig. 3 - Quelques coquilles outils datées du Néolithique (Auzay, Vendée, cliché J.-M. Large).
1 et 3 : Callista chione, 2 : Pecten maximus ; 4 et 5 : Tapes decussatus (Diconche, Charente-Maritime, clichés Y. Gruet) ; 6 : Coquille de moule Mytilus sp.
 
JPEG - 19 ko
Fig. 4 - Les petits coquillages utilisés comme parure au Mésolithique et au Néolithique le long de la façade atlantique française (clichés C. Dupont).
1 : Lacuna sp. L=8mm Beg-an-Dorchenn (Finistère, Mésolithique) ; 2 : Littorina obtusata L=10mm Beg-an-Dorchenn (Finistère, Mésolithique) ; 3 : Trivia monacha L=10mm La grotte du Phare (Pyrénées-Atlantiques, Néolithique) ; 4 : Dentalium inaequicostatum L=15mm La grotte du Phare (Pyrénées-Atlantiques, Néolithique).

Les indices de l’utilisation des coquilles comme outil sont tenus au Mésolithique. A partir du Néolithique, ils deviennent plus évidents. Ils se caractérisent par la déformation de la forme d’origine des valves et par la présence de surfaces d’abrasion. Ces stigmates anthropiques peuvent pour certains être rapprochés au Néolithique des activités liées au travail des céramiques (Dupont 2003).

Les coquillages et les périodes historiques

Les utilisations des coquillages en tant que matière première sont nombreuses pendant les périodes historiques. Leur valeur symbolique perdure. L’exemple de la coquille Saint-Jacques est tout à fait parlant. Utilisée comme parure dès la préhistoire, elle devient autour du Xème siècle ap. J.-C. le témoignage de l’accomplissement du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle (Dupont soumis). Des exemplaires de pourpre Nucella lapillus ont par exemple été utilisés pour en extraire un colorant de couleur pourpre de l’âge du Fer au Moyen Age. Cette utilisation a été mise en évidence par la présence de cassures systématiques sur des exemplaires de pourpres de l’âge du Fer au Moyen Age (fig. 5). La comparaison de ces restes de pourpres à ceux issus d’une altération naturelle montre que ces coquilles ont bien été cassées de la main de l’homme.

JPEG - 43.6 ko
Fig. 5 - Lot de pourpres (Nucella lapillus) de la structure C44 de Tatihou présentant des cassures systématiques (Manche, Moyen Age). Clichés C. Dupont.

3 - Les mollusques : indicateurs paléo-environnementaux

Les biotopes des coquillages trouvés sur un site archéologique sont souvent une image partielle des environnements marins voisins du site. D’autres éléments permettent de compléter cette vision indirecte du paléoenvironnement. En effet, l’observation de l’épifaune des coquillages, qui correspond à des organismes marins qui vivent fixés sur des tests coquilliers ou à l’intérieur de l’épaisseur de la coquille (fig. 6), permet de préciser les caractéristiques du milieu exploité (substrat, mode d’exposition aux houles). D’autre part, certaines espèces voient leur forme varier en fonction du mode d’exposition aux houles de la côte. Ainsi, la forme des nasses Nassarius reticulatus et des pourpres Nucella lapillus varie progressivement selon qu’elles ont vécu sur une côte abritée ou battue (Dupont et Gruet 2000).
JPEG - 99.9 ko
Fig. 6 - L’épifaune et endofaune des coquillages du site d’Aytré (Charente-Maritime, Gallo-romain). Clichés C. Dupont.
A1 : vue générale de l’huître ; A2 : empreinte de balane ; A3 : percement lié à l’action du Polydora ; A4 : bryozoaire ; B : huîtres fixées sur une des valves d’huître consommée à Aytré ; C1 : détail de la perforation liée à l’action d’un Ocenebra ; C2 : vue générale de la valve d’huître ; D1 : balanes encore fixées sur une valve d’huître ; D2 : vue générale d’une valve d’huître ; E : valve gauche de pétoncle portant plusieurs indices de faune marine ; F1 : Tubes de spirorbes fixés sur une coquille de patelle ; F2 : vue générale de la coquille de patelle.
JPEG - 33 ko
Fig. 7 - Echantillon du sondage paléoenvironnemental de Téteghem (Nord) avant son tri (cliché C. Dupont).
Pour certaines régions, l’étude des coquillages exploités par les hommes sur une large échelle chronologique permet de suivre les modifications globales de l’environnement marin.

Cette vision diachronique du paléoenvironnement est également possible dans certaines régions par l’étude de sondages paléo-environnementaux (Gruet et Dupont 2001, 2005). Elle consiste en l’analyse de la composition malacofaunique de carottages fait dans des dépôts naturels coquilliers (fig. 7). La méthode d’analyse de ces assemblages malacofauniques diffèrent légèrement de celles de dépôts anthropiques (Dupont, 2003).

La figure 8 en présente un exemple dans le marais de la Perroche sur l’île d’Oléron (Dupont 2003). Elle montre de la base vers la surface du sondage un lieu soumis aux incursions marines qui se comble peu à peu et se transforme en une vasière puis une lagune.

JPEG - 128.2 ko
Fig. 8 - Evolution des groupes écologiques de la malacofaune en fonction de la profondeur du sondage LIFE 9906 (Dupont, 2003).

Références bibliographiques

- Dupont C., (soumis) - La coquille Saint-Jacques et l’homme : De la Préhistoire au 18e siècle. In : ACI Pecten. Océanis, Éd. : Institut Océanographique. 11 p.

- Dupont C., 2003 - La malacofaune de sites mésolithiques et néolithiques de la façade atlantique : Contribution à l’économie et à l’identité culturelle des groupes concernés. Thèse de Doctorat nouveau (ar.92) de Préhistoire, Ethnologie et Anthropologie de l’Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne, 2003, 542 p.

- Dupont C., 2004 - L’exploitation de la malacofaune marine dans l’économie de subsistance des populations mésolithiques et néolithiques de la façade atlantique française : une activité secondaire ? In : Actes des XXIVème rencontres internationales d’archéologie et d’histoire d’Antibes ’Petits animaux et sociétés humaines : du complément alimentaire aux ressources utilitaires’. 23-25 octobre 2003, Juan-les-Pins - France, éditeur : APDCA, pp.15-27.

- Dupont C., 2005-1 - Les coquillages alimentaires des dépôts et amas coquilliers du Mésolithique récent / final de la façade atlantique de la France : de la fouille à un modèle d’organisation logistique du territoire. Préhistoire, Anthropologie Méditerranéennes 2003 , tome12, pp.221-238.

- Dupont C., 2005-2 - Les coquillages : des vestiges animaux bien particuliers. In : Normand E., Treffort C. (dir.), à la table des moines charentais, Archéologie de l’alimentation monastique en Charente et Charente-Maritime au Moyen Age. Catalogue de l’exposition itinérante ’A la table des moines charentais’ inaugurée le 2 avril 2005 à Saint-Armand-de-Boixe (16), Geste éditions., pp.58-59.

- Dupont C., Gruet Y., 2000 - Variations morphologiques de mollusques gastropodes (Nucella lapillus et Hinia reticulata) : intérêts pour l’archéologie. G.M.P.C.A., Archéométrie’99. 21-24 avril 1999 Lyon/France. Revue d’Archéométrie, 24, pp.53-61.

- Dupont C., Gruet Y., 2005 - Malacofaune et crustacés marins des amas coquilliers mésolithiques de Beg-an-Dorchenn (Plomeur, Finistère) et de Beg-er-Vil (Quiberon, Morbihan). Unité et diversité des processus de néolithisation sur la façade atlantique de l’Europe (7-4ème millénaires avant J.-C.). Nantes, 26 avril 2002, Réunion de la Société Préhistorique Française. Bulletin de la Société Préhistorique Française, pp.139-161.

- Dupont C., Tresset A., Schulting R., (sous presse) - Prehistoric shell middens in France : investigations new and old. In : Milner N. (ed.), Workshop on shell middens and marine exploitation held at York in September 2005. Oxford, Oxbow.

- Gruet Y., Dupont C., 2001 - Au Néolithique dans le Centre-Ouest de la France, la pêche des coquillages reflète-t-elle l’environnement marin ? L’HELGOUACH J., BRIARD J. (Sous la direction de), Systèmes fluviaux, estuaires et implantations humaines de la préhistoire aux grandes invasions, Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques. 124e Nantes, 1999, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques. Paris, pp.183-199.

- Gruet Y., Dupont C., 2005 - Une méthode permettant la reconstitution d’environnements marins d’après la malacofaune de sites archéologiques et de sondages. Actes du IIIe Congrès international des sociétés européennes de malacologie : Les mollusques dans la recherche actuelle. 24-27 juin 2003, La Rochelle - France, éditeur : G. Richard, pp.123-127.

- Schulting R., Tresset A., Dupont C., 2004 - From Harvesting the Sea to Stock Rearing Along the Atlantic Façade of North-Western Europe. Environmental Archaeology, 9, pp.143-154.

- Taborin Y., 1993 - La parure en coquillage au Paléolithique. Paris, CNRS, Supplément à Gallia Préhistoire, XXIX.